Pedro Almodovar est attendu au tournant à la présentation de chacun de ses films. Cette année comme celles d'avant, l'opus est censé être moins réussi que le précédent et on continue à se référer à ceux, drolatiques et moqueurs, qui l'ont fait connaître, tel que son premier véritable succès en france : Femmes Au Bord De La Crise De Nerfs.
C'est oublier ou méconnaitre les films qu'il avait réalisés auparavant : Matador ou Dans Les Ténèbres.
" C'est glauque " m'a-t-on dit de ce film. Almodovar aurait-il commis un remake de Trainspotting?
La Piel Que Habito est un film Noir, c'est certain pour moi : chaque personnage se dirige inexorablement vers sa perte qu'il devra à un destin fatidique, ses erreurs, le hasard.
L'histoire (le scénario?) a certes quelques rebondissements que l'on voit venir dès la scène précédente mais elle n'est qu'anecdotique selon moi. Je ne sais rien de "Mygale", le roman de Thierry Jonquet qui l'a inspiré mais, côté thriller, c'est laborieux si on se contente de suivre l'histoire.
celui qui semble coupable n'est que la victime d'un malencontreux hasard et de son irresponsabilité de jeune adulte. Le chirurgien qui se prend pour Dieu se refuse à assumer ses erreurs de père et essaie de remédier par la technique à la perte d'une proche dont il est responsable. Une mère croit que sa descendance est maudite alors que son comportement erratique et léger nous donne d'autres explications.Aucune empathie pour les autres chez ces personnages qui ne voient de vérité que dans l'étroit faisceau lumineux qu'ils projettent devant leur petite personne. Chacun semble avoir un but à très court, moyen ou très long terme.
Pedro Almodovar place évidemment quelques répliques ou situations qui nous rappellent son fond de commerce de dérision mais personne ne rit vraiment.
Glauque, ce film qui manipule le sang, les greffes de peau, les poursuites nocturnes et les viols?
Et bien non.
Ainsi, la poursuite et le kidnapping nocturnes sont théâtraux, stylisés, filmés à 40km'h et je doute même qu'un cascadeur ait été impliqué dans le tournage si ce n'est pour des raisons d'assurance.
Ainsi l'un des viols est grand-guignolesque (on apprendra dans quel but plus tard), le deuxième viol dans la narration, s'il existe, est davantage du niveau de l'illusion.
Ainsi les manipulations de sang, peau et autres activités sont filmées comme dans une publicité HD cherchant à susciter des vocations médicales et rendront les photographes des "Experts" jaloux.
ainsi les manipulations génétiques auxquelles le chirurgien avoue se livrer ne seront pas non plus un sujet de répulsion : tout est évacué en une discussion langage de bois très " clinique de la forêt noire" en fin de congrès de médecins.
Ainsi également le passé tumultueux de Marisa Paredes, ses entrailles maudites qui n'engendrent que la folie, les demi-frères différents mais voués au malheur, sa vie dérisoire entre Espagne et Brésil : le personnage joué par l'actrice nous racontera tout cela dans une scène de confession au bord du feu de camp où brûle une literie souillée.
Dans la facture, les prises de vues impeccables (José Luis Alcaine), le design omniprésent(Carlos Bodelón), la musique qui ne vole jamais la première place (Alberto Iglesias)... Presque chaque plan est un prétexte à l'esthétisme.
En revanche, le placement de produits bat son plein et nuit au déroulement de l'histoire : chaque fois qu' Antonio Banderas rentre au manoir, doit-on forcément le voir descendre du coupé BMW blanc ccomme dans la publicité où une belle-mère acariâtre se plaint de son voyage infernal qu'elle termine sur la vue rassurante de sa dernière voiture? Est-ce réellement un message indiquant qu'il combat son vide intérieur en se réconfortant de luxe et de qualité?
En revanche, guère de doute sur Panasonic qui est présent en bas d'écran chaque fois qu'un matériel vidéo est utilisé...
Almodovar retrouve ici ses thèmes chéris du kidnapping où la victime fraternise avec le bourreau, de la médecine dont la guérison est toute relative, de la psychiatrie de bon aloi mais de pauvre réussite, l'ambiguité des identités sexuelles, la chirurgie esthétique ou réparatrice (tellement présente dans la bourgeoisie espagnole actuellement...
Le sexe n'apporte plus ici le nirvana ni même, on le verra, la rédemption et les blagues et sitations abracadabrantes ne font plus que sourire parfois. Pedro Almodovar garde malgré tout une grande tendresse pour ses personnages et leurs faiblesses, une humanité qu'il nous fait partager et qui laisse des traces après la projection.
Note : bravo aux salles de banlieue parisienne, comme le Calypso de Viry-Chatillon, qui projettent aujourd'hui des films dans d'excellentes conditions, en VO et pour moins de 7 euros un samedi soir pluvieux de septembre.
Un film noir dans de belles couleurs.
note : on évitera l'article sur Wikipedia qui raconte le film en entier!
- La piel que habito : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=124897.html
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Thierry_Jonquet#Bibliographie
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Femmes_au_bord_de_la_crise_de_nerfs
- http://www.films-sans-frontieres.fr/matador/presse.html
- Trainspotting : http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=14788.html
- Mygale : http://www.polarnoir.fr/livre.php?livre=liv163
Fiche technique (from Wikipedia.fr)
Titre original : La piel que habito
- Réalisation : Pedro Almodóvar
- Scénario : Pedro Almodóvar (adapté du roman Mygale de Thierry Jonquet)
- Langue : espagnol
- Pays : Espagne
- Production : El Deseo S.A.
- Durée : 117 minutes
- Date de sortie: 17 août 2011 (France), 2 septembre 2011 (Espagne)
Distribution
- Antonio Banderas : Dr Robert Ledgard
- Elena Anaya : Vera Cruz
- Marisa Paredes : Marilia
- Jan Cornet : Vicente
- Blanca Suárez : Norma
- Roberto Álamo : Zeca
- Bárbara Lennie : Cristina
- Susi Sánchez : la mère de Vicente
- Eduard Fernández : Fulgencio
- José Luis Gómez : le président de l'Institut de Biotechnologie
- Fernando Cayo : le psychiatre de Norma
- Ana Mena : Norma (enfant)
- Virginia Buika : elle-même
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